LE MONDE DE MÜ [Chapitre 1]

LES SURVIVANTS DU MONDE D'EN HAUT

Le soleil venait de se lever sur la ville de Danza, mais cela faisait plusieurs jours que les habitants ne le voyaient pas. La toute nouvelle ville flottante entièrement artificielle, la pointe de la technologie, le dernier cri en matière de sécurité, Danza, l’île de fer, tanguait dangereusement depuis trois jours. La météo ne s’arrangeait pas, et de grandes vagues déferlaient toutes les minutes dans les rues. La tempête allait en s’aggravant. Le vent redoublait de violence, et il s’était mis pleuvoir à grosses gouttes. Ce matin du quatrième jour était le plus pénible de tous. Personne n'avait réussi à dormir à cause de la houle. Alors qu'on espérait encore une accalmie, un raz-de-marée, plus gigantesque que les autres, submergea soudainement la ville entière. Les poutres sous-marines cédèrent, et la ville flottante commença à couler. A environ un kilomètre de là, sur la rive, les témoins de ce désastre étouffèrent des cris de terreur. Sur Danza, la panique s’emparait des habitants, qui quittaient au plus vite leur logement pour se ruer dans les quelques machines se sécurité. Celles-ci étaient nouvellement conçues pour une éventuelle immersion de l'île. Ces petits tubes rouge vif, comportant chacun six places, pouvaient fonctionner sous l’eau et supporter une très grande pression. Ils étaient censés sauver les habitants en les ramenant vers la côte, à l'aide d'un pilote automatique. Malheureusement, il n’y avait pas assez de tube pour tout le monde, et ce fût vite la débandade dans les rues.
_ Alix ! Alix !!
Une femme blonde hurlait le nom de son fils, parmi la foule qui se précipitait dans l’avenue principale en direction du port. Bientôt, l’eau leur arriva aux genoux. Un homme passa près d’elle en courant. Il avait la trentaine, plutot grand et de corpulence moyenne. Il était mal rasé, et ses cheveux raides et d'un blond terne tombaient sur ses yeux de chat. Il portait une chemise grise et un jean troué. L’homme trébucha dans l’eau, et aperçut une nacelle vide, à sa droite. Réunissant ses dernières forces, il se précipita sur l’appareil et grimpa à bord. Il n’y avait encore personne à l’intérieur. L’homme se mit aux commandes, et observa les indications, étape par étape. Tout à coup, quelque chose heurta la vitre. L’homme se retourna et vit le visage larmoyant d’une jeune fille aux cheveux roux dégoulinant sur ses épaules. Il ouvrit la porte et l’aida à monter. Essoufflée, elle le remercia. La jeune fille paraissait frêle, et on devinait sa maigreur sous sa tunique d'un vert criard. Son nez pointu saignait abondamment.
_ Vous allez bien ? demanda-t-il, inquiet.
_ Ca va.
_ Installez-vous derrière, et prenez ça.
Il lui tendit un mouchoir, puis elle s’affala sur les trois sièges arrières, et respira profondément. Elle était totalement trempée.
_ Je vais attendre un peu, dit l’homme en continuant d’examiner les prospectus qui expliquaient le rôle des commandes. Il faut prendre d’autres personnes.
En effet, une seconde plus tard, un jeune homme ouvrit la porte. Accompagné d’une femme, il entra dans l’appareil. Il était grand et mince, ses cheveux châtains étaient coiffés en catogan, et sa chemise à carreaux était partiellement déchirée. La femme, elle, avait les cheveux noirs coupés courts. Elle portait un tailleur bleu marine et ses collants étaient filés. Le couple ne dit pas un mot, et s’assit près de la jeune fille qui leur fit un sourire aimable. A présent, l’eau atteignait le bord de la porte, et l’homme qui était aux commandes la referma. Bon nombre de tubes étaient déjà partis vers la côte, par conséquent il n’en restait que deux sur Danza, en plus du leur. Pourtant, il y avait encore beaucoup de monde sur l’île. L’eau atteignait maintenant la moitié de la fenêtre quand un homme se précipita à l’intérieur.
_ Dépêchez-vous ! Lui dit-on.
L’homme était en train de se noyer, alors on l’aida à monter. Il enleva ses lunettes qui s'étaient brisées dans la précipitation ce qui dévoila ses yeux rieurs. Il avait la trentaine. Ses cheveux châtains ondulaient sur ses épaule, et il possédait une barbe naissante qui faisait ressotir son menton proéminent. Il portait un long imperméable, ainsi qu'un pantalon de la même sorte.
_ Je vous remercie. C’est horrible dehors ! Il faut que les gardes-côtes viennent sauver le reste des gens, là-bas !
_ La côte est trop loin, ils n’arriveraient pas à temps, dit la femme brune avec pertinence.
Entre temps, l'homme à l'imper prit place aux côtés du « commandant », et ferma la porte.
_ L’eau monte de plus en plus, nous ne pouvons plus prendre personne ! Constata ce dernier avec horreur.

Soudain, la femme blonde que l’homme avait croisée précédemment, portant son petit garçon dans ses bras, se colla contre la vitre. Elle avait nagé jusque-là et tentait de maintenir sa tête hors de l’eau, tout en essayant d’ouvrir la porte de l’engin. Le jeune homme à l’arrière regarda alentour. Le dernier tube quittait l’île pour se diriger vers la côte.
_ On ne peut pas la prendre ! dit-il. On a plus le temps !
_ Vous n'avez donc pas de coeur ?! s’exclama l’homme aux commandes.
Ils étaient maintenant totalement immergés, et les jambes de la femme se débattaient sous leurs yeux.
_Mais si on ouvre la porte … commença la jeune fille d’un ton apeuré.
La femme avait plongé et tirait sur la poignée.
_ Ouvrez-lui ! s’écria le « commandant ».
L'homme à l'imper ouvrit la porte et l'eau s’engouffra dans le tube. Pendant que tout le monde retenait sa respiration, la femme se débattait, mais elle nageait mal. Elle tendit en vain la main vers l’appareil. Elle dérivait. Dans un geste désespéré, elle poussa son garçon pour qu’il atteigne la main qu'on lui tendait. Malheureusement, elle était trop loin. L'homme à l'imper referma la porte, puis le « commandant » appuya sur un bouton vert qui vida l’engin de toute son eau. Tous prirent une grande bouffée d’air.
_ Tout le monde va bien ?
De vagues « oui » se firent entendre. Pendant ce temps, la femme tentait de rejoindre la surface, après avoir rattrapé son fils.
_ Il faut la sauver, s’exclama l'imper d’un ton décidé.
L’homme qui était aux commandes démarra l’engin et fonça vers la surface. Toute la ville était maintenant sous l’eau. Mais alors que l’engin allait dépasser le dernier gratte-ciel et atteindre la femme, il s’immobilisa.
_ Mais avancez ! s’écria l'imper.
_ Je n’y peux rien, les machines sont bloquées ! Je ne peux plus bouger du tout !
La femme à l’arrière étouffa un cri.
_ On ne peut même pas regagner la rive ? demanda le jeune homme.
_ Non, à moins que la machine redémarre d’elle-même !
Soudain, ils se sentirent irrésistiblement attirés vers le fond. L’appareil se précipita vers le bas, et heurta le sol de l’ancienne île flottante, qui descendait à présent elle aussi dans les profondeurs de l’océan.
_ Mais qu’avez-vous fait ? s’écria la femme, scandalisée.
_ Rien !! Rien du tout !
A présent, plus rien ne bougeait autour d’eux, et ils continuaient de descendre au fond de l’eau. Le « commandant » feuilletait quelques notices avec fureur, respirant nerveusement.
_ Oh non, la pauvre femme ! s’épouvanta la jeune fille.
_ Et pauvre de nous ! s’exclama l'imper. Comment allons-nous rejoindre la rive ?
_ Aucune idée ! Cette putain de machine n’avance pas !
Le « commandant » donna un violent coup de coude dans le tableau de bord. Sa réaction brutale éleva quelques doutes dans l'esprit de l'imper,et il s’approcha de l’homme avec méfiance :
_ Mais vous puez l’alcool ! Constata-t-il, scandalisé, persuadé d'avoir trouvé là la source du problème.
_ Oh, je vous en prie ! dit-il à mi-voix en regardant ailleurs.
_ Nous n’aurions jamais dû faire confiance à un alcoolique ! s’exclama la femme.
_ Donnez-moi les commandes. Vous en avez assez fait ! dit alors le jeune homme en se dirigeant à l’avant de l’appareil.
_ Vous, poussez-vous ! s’exclama le dit alcoolique en repoussant le jeune homme en arrière. Ecoutez-moi, vous deux – il désigna le jeune homme et la femme – vous ne faîtes que râler ! Dîtes-vous bien que vous seriez peut-être morts noyés si je ne vous avais pas permis de monter à bord de la capsule !
_ Ah oui ?! s’écria la femme, hystérique. Vous vous l’appropriez maintenant ?! « Permis d’entrer », vous êtes fou !
_ Non, il est saoul, conclut le jeune homme avec un regard noir.
_ Je ne suis pas saoul ! s’exclama-t-il avec rage. Et ce n’est pas non plus ma faute si cet engin est bloqué ici. Il y a une espèce de force qui …
_Regardez ! s’écria la jeune fille, le nez collé contre la vitre.
Tous regardèrent dans la direction indiquée, et ils aperçurent des milliers de coraux défiler de haut en bas sous leurs yeux. De toute évidence, ils s’enfonçaient à vitesse fulgurante vers le fond, mais aussi vers le large.
_ C’est impossible ! s’exclama la femme.
_ C’est incroyable ! murmura l'imper, fasciné.

Au bout de quelques minutes passées à observer ce défilé de merveilles sous-marines, celui-ci parla :
_ Hem, je ne sais pas où nous allons, et je ne sais pas comment ni pourquoi. Je ne sais pas si nous resterons encore en vie, bien que je sois assez optimiste sur ce point, mais ne le prenez pas trop en considération. Je suis un optimiste à toutes épreuves. Enfin bref, je me disais que nous aurions pu déjà, en un premier temps, nous dévoiler nos identités …
Il avait un regard hésitant, devant les mines déconfites du « commandant », de la femme et du jeune homme. La jeune fille intervint en premier :
_ Je m’appelle Raphaëlle Arha, dit-elle. J’ai tout juste vingt ans, et … et je me suis installée à Danza il y a un an. C’était pour …
_ Bien, dit l'imper avec un sourire compatissant. Nous n’avons pas besoin d’en savoir trop sur votre vie, du moins pour l’instant, les noms nous suffiront à communiquer avec plus de courtoisie.
_ Je ne suis pas d’accord, rétorqua le « commandant » avec ferveur. Elle a le droit de nous raconter ce qu’elle veut. Après tout, plus on en sait sur les autres, mieux c’est … histoire de cerner les gens …
_ Je suis tout à fait d’accord, affirma le jeune homme d’une voix forte. Racontes-nous donc ton passé d’alcoolique et les raisons de ta chute dans la boisson !
Il esquissa un sourire cynique. Furieux, le « commandant » allait répliquer, quand l'imper lui fit signe que non.
_ Enfin, arrêtez ! vous êtes ridicules à vous envoyer des pics de la sorte ! Je voulais qu’on fasse les présentations pour mieux s’entendre.
_ Très bien, finit par dire la femme. Je suis Era Slamp et j’ai trente-trois ans. Je travaille comme traductrice dans une maison d’édition, voilà.
Elle avait dit tout cela très vite, et tout le monde fût stupéfait du calme qui régnait tout à coup.
_ Ok, dit finalement le « commandant ». Je m’appelle Théo Marvin et j’ai trente-neuf ans. Je – il se renfrogna – je suis au chômage …
Le jeune homme étouffa une exclamation.
_ A vous, dit alors l'imper, les sourcils froncés.
Il s’affala sur le siège.
_ Teckilan Dig. Je viens d’avoir trente et un ans et je suis employé dans une usine de chaussures.
_ Au fait, Raphaëlle ne nous a pas dit ce qu’elle faisait, dit poliment l'imper.
_ Je suis étudiante en lettres.
_ Très bien, dit Era d’un ton catégorique. Il ne reste que vous.
_ Oliver Ulm. J’ai trente-six ans ans, et je suis bibliothécaire.
Théo Marvin remua encore une fois les commandes, mais rien n’y faisait.
_ Laissez ça, dit Era, nous sommes coincés, il n’y a rien à faire. Nous sommes toujours en vie, c’est déjà ça.
_ Ce n’est pas leur cas, dit Teckilan en désignant l’extérieur.
En effet, plusieurs corps sans vie flottaient à quelques centimètres du sol de l’île. Celle-ci continuait à s’enfoncer et à avancer.
_ Nous sommes sûrement là pour un bon bout de temps, dit Oliver.
_ Comment pouvez-vous affirmer ça ? demanda Teckilan.
_ L’île n’était pas doté d’un système de flottaison ? demanda Era, les sourcils froncés. Même si les poutres sous-marines cédaient ?
_ En effet, dit Oliver, mais dans une telle tempête l’eau s’engouffre partout, et cela alourdi l’île. Il est logique qu’au bout d’un moment elle coule. Mais seulement, elle aurait dû se stabiliser en touchant le fond. Or, elle semble être attirée par quelque chose de plus profond.
_ Comment expliquez-vous ça ? demanda Raphaëlle qui n’avait rien d’autre à dire.
_ Je ne l’explique pas, dit Oliver, je constate. Je n'ai pas la science infuse.
_ Ce qui est vraiment bizarre, dit Théo, c’est que l’île avance à une vitesse incroyable … on dirait presque qu’elle possède un moteur ou quelque chose qui la propulse.
_ Vous avez raison, dit Oliver en réfléchissant, c’est très étrange.
_ Mais s’il y a un moteur, qui le conduit ? demanda Era.
_ Moi je me demanderais plutôt pourquoi, dit Teckilan, le regard sombre.
Un silence tomba comme une masse dans la capsule. Des regards terrorisés ou sinistres sur les visages pâles, chacun réfléchissait à un éventuel complot. Des extra-terrestres ? Le gouvernement ?
_ Il faut sortir d’ici ! s’exclama soudain Teckilan.
_ Je ne vous le fais pas dire, dit Théo.
_ Y-a-t-il des combinaisons de plongée ici ? demanda le jeune homme sans faire attention à Marvin.
_ Je crois que ce serait logique, dit Oliver en toute sincérité. Fouillez dans la boîte de secours derrière vous.

Teckilan s’exécuta et ouvrit une caisse aussi rouge que le tube, et y trouva six combinaisons de plongée.
_ Pas de bouteille ! s’écria Teckilan en fouillant ardemment dans la boîte.
_ Impossible de remonter en apnée à une telle profondeur, dit Théo. J'ai une idée : que penseriez-vous si l’un de nous essayait de pousser l’appareil hors de la ville ?
_ Pardon ? s’exclama Era, les yeux exorbités.
_ J’ai l’impression que c’est l’île qui nous attire. En essayant de pousser la capsule, on pourrait peut-être redémarrer les machines.
_ Mais si la capsule ne redémarre pas ?! s’exclama Raphaëlle. Alors on tombera dans le vide !
_ Ce ne sera pas pire que d’être coincé ici, dit Théo. On court à la même perte.
_ A moins d’un miracle, conclut Oliver.
L'hésitation flottait silencieusement dans la caspule.
_ Ok, j’y vais, décida subitement Teckilan.
Il entreprit d’enlever son pantalon, puis rugit aux deux femmes :
_ Détournez le regard ! Et poussez-vous, je n’ai pas de place !
Il enfila la combinaison, puis la ceinture de plomb et les chaussures. Il prit un masque de plongée, et se déplaça vers l’avant.
_ Près ? demanda Théo.
_ Ouais, bougonna Teckilan.
Tous prirent une grande bouffée d’air, puis Teckilan ouvrit la porte, et posa le pied sur le sol de l’île. Oliver referma la porte, et Théo vida la capsule de l’eau qui s’y était engouffrée. A l’extérieur, de chaque côté de l’appareil, l’eau fut expulsée avec force, et Teckilan dû reculer d’un pas pour l’éviter. Puis, il marcha à l’arrière du tube et poussa de toutes ses forces, mais il ne réussit qu’à bouger l’engin de quelques centimètres. Il revint vers l’avant du tube, et fit signe à Théo et Oliver de venir l’aider.
Quelques longues minutes plus tard, après avoir fait plusieurs allers-retours pour reprendre de l'air, les trois hommes réussirent à pousser l’engin tout au bord de la ville. Au moment de le plonger dans le trou, ils n’y arrivèrent pas. Après deux autres tentatives, ils rentrèrent à nouveau dans la capsule. Raphaëlle vida l’eau. Teckilan était à l’avant avec Théo, et Oliver à l’arrière avec Era. On aurait dit que l'imper avait vu un fantôme :
_ C’est impossible ! Vous avez senti cette force ?! clama-il à l’adresse des deux autres.
_ Pourquoi êtes-vous revenus ? demanda Raphaëlle, qui ne comprenait rien.
_ Pourquoi n’avez-vous pas poussé ? s’enquit Era, dans le même état de confusion.
_ On aurait dit qu’un rocher bloquait le passage, dit Théo assez calmement. Il est impossible de sortir de cette île.
_ Je le sais, dit alors Teckilan, j’ai touché les bords de l’île, et il y avait comme une bulle protectrice. Il y a quelque chose de pas net qui englobe la ville, et c’est invisible.
_ Vous délirez, conclut Era avec un regard suspicieux.
_ Stop ! dit alors Juliette. J’aperçois quelque chose …
Tous regardèrent dans la direction qu’elle pointait de son doigt. Un énorme terrain plat se trouvait devant eux. Le fond de l’océan était parfaitement horizontal, et s’étendait sur une distance indéterminable. Au loin, on apercevait une faible lueur rouge.
_ Vous croyez que c’est notre destination ? demanda Raphaëlle, sur un ton rêveur et à la fois terrifié.
_ Destination ? articula Era, incrédule.
Il y eut un lourd silence, alors que l’île se précipitait vers cette étendue sombre, et eux avec.
_ Vous avez vu cette lumière ? Dit Théo, comme hypnotisé.
_ Le Paradis, murmura Era, et personne ne réagit.
Raphaëlle se ramassa sur son siège, comme un petit chien apeuré. Teckilan et Oliver fixait leur destination avec gravité. Le fond se rapprochait. Plus que quelques mètres ...
Ils touchèrent brutalement le sol. Tous retinrent leur respiration, et les coeurs s'arrêtèrent soudain de battre. Tout à coup, un énorme bruit se fit entendre, et fit trembler toute la cité engloutie. Effrayés, les passagers du tube ne dirent rien. Personne ne savait ce qu'il se passait, mais tous imaginait la Terre s'ouvrir et les engloutir un par un.
_ Ca y est, c’est la fin, sanglota Era.
Une lumière aveuglante jaillit devant leurs yeux. Quelques secondes plus tard, c’était comme si rien ne s’était passé. Les secousses avaient cessées, le bruit assourdissant avait disparu. Et ce qu'ils virent les stupéfia.
Aucun d’eux n’avait jamais vu un panorama semblable à celui qu’ils avaient sous les yeux. Un ciel bleu agrémenté de petits nuages floconneux se trouvait au-dessus de leur tête. Au loin, il y avait une petite montagne verdoyante au sommet de laquelle était planté un drapeau rouge vif. Celui-ci flottait sereinement sous l’effet d’une légère brise. Aux alentours, on pouvait distinguer des routes, ou plutôt

des chemins de terre battue bordant des collines d’un vert jaune. Quelques charrettes en bois y circulaient dans un cliquetis amusant, dû aux rouages mais aussi aux marchandises transportées. En contrebas de la montagne, des toits en chaume dorée faisaient scintiller un petit village de campagne. Certaines maisons étaient en bois, d’autres en pierre. Une lanterne de verre gravé pendait près de chaque porte. Parfois certains bâtiments possédaient une enseigne, toujours décorée avec un souci de précision étonnant. Des dessins étranges y étaient inscrits, et quelques fois la gravure de l’objet vendu par la boutique. De nombreuses plantes de toutes sortes décoraient les bords des maisons, ainsi que la rue principale en terre, qui coupait le village en deux. Des charrettes étaient rangées ça et là, tirées par des chevaux aux robes de couleurs inhabituelles. De plus, ces animaux étaient habillés de parures colorées, comme des pompons dorés, des nœuds, des étoles de soie et même des bonnets. En face d'eux se tenait une foule de gens étrangement vêtus, qui semblaient contrariés, choqués, voire même très en colère. La cité avait percuté ce village de plein fouet. On pouvait distinguer des barques, de petits bâteaux et des pontons en bois écrasés sous la pression de la cité de Danza. Elle avait du arriver par la mer, et rentrer dans un port. Mais comment était-ce possible ? La cité ne se trouvait-elle pas engloutie dans l'océan ? Les passagers du tube, la voix toujours coupée par la stupéfaction, regardèrent la scène sans bouger.

Un homme arriva en écartant la foule sur son passage. Il avait les cheveux d'un blond foncé, coupés courts avec quelques mèches ébouriffées près du front. Il avait de petits yeux de chiens battus. Sa machoire était forte et carrée, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir une expression sympathique. Il était grand et n'avait pas moins de 45 ans. Il portait une tunique bleue sombre, constituée d'un pantalon, d'une veste, et de plusieurs autres couches de vêtements, dont une chemise qui lui arrivait au-dessus des genoux. Plusieurs cordelettes et autre lacets très décorés rattachaient les différentes parcelles de cette tunique à étages. L'homme ne portait aucun insigne ou objet le différenciant des autres, mais il semblait faire autorité sur eux.
Plusieurs personnes vinrent le trouver et lui fournir quelques longues explications, auxquelles il sembla porter une grande attention. C'est alors que le petit groupe sortit de son silence :
_ Mais ..., commença Teckilan. Qu'est-ce que c'est que ça ?
_ Le Paradis, murmura Era, comme une incantation.
_ Ce sont des gens, conclut Raphaëlle.
_ Perspicace ! S'exclama Teckilan en feignant l'admiration.
_ Non ... ce que je veux dire c'est que ... ce sont des gens comme nous ! Nous n'avons rien à craindre, non ?
_ Je ne sais pas ..., dit Théo, sceptique.
_ Nous pouvons toujours sortir pour voir, dit Oliver.
Il entreprit d'ouvrir la porte.
_ Non ! Attendez une seconde !
Théo avait l'air inquiet.
_ Vous pensez que l'air est respirable ?
_ Comment croyez-vous que ces hommes, en face, font pour respirer ? Intervint Era.
_ Vous êtes trop autoritaire, arrêtez de nous pomper l'air, dit Teckilan en croyant être drôle. Allez, je sors, moi !
Il ouvrit la porte d'un coup. Avec soulagement, le groupe s'aperçu que l'air était respirable. Era soupira, rassurée.
_ Euh ... on sort ? Demanda Raphaëlle.
Chacun des membres du groupe sortit tour à tour du tube. Ils posèrent le pied sur le sol de la ville de Danza. Théo leva les yeux, et aperçu la fenêtre de son appartement en haut d'un gratte-ciel. La ville avait été quelque peu abimée par la mer, mais elle restait présentable. Titubant parmi les algues qui s'étaient déposées dans les rues, le groupe marcha vers le village, où les habitants les regardaient sans rien dire. Teckilan posa sa main sur l'épaule d'Era, qui se retourna. Il lui désigna, derrière lui, à la limite de la ville, la mer qui s'étendait à l'infinie.
_ Mais où sommes-nous ?! S'inquiéta-t-elle.
Le groupe continua sa marche. Il enjamba les carcasses des pontons et des barques, puis se retrouva sur le quai de l'ancien port, maintenant bouché par la ville de Danza. Une femme arriva en courant près de l'homme à la tunique bleue. Ses cheveux étaient tressés et elle portait un vêtement semblable, aux différentes nuances d'oranges. L'homme prit le parchemin que la femme lui tendait. Il le déroula et parut contrarié après l'avoir lu. Il s'avança vers le groupe, et commença, enfin, à parler :
_ Solo Matane !
Un long silence gêné s'installa.
_ Euh ... commença Théo, en tête du groupe, quelque peu désorienté.

_ C'est quelle langue ? Demanda Teckilan.
_ C'est vous qui êtes traductrice, n'est-ce pas ? Demanda Oliver à Era.
Celle-ci s'avança et demanda à l'homme de répéter. Celui-ci répondit à la place par une longue phrase incompréhensible.
_ Je ne connais pas cette langue, dit Era, incrédule.
_ C'est joli, fit remarquer Raphaëlle.
_ Où est-ce qu'on est ? Demanda Oliver à l'homme. Où sommes-nous ?
Il articula sa phrase, mais l'homme n'eut aucune réaction. Il semblait très perturbé.
Soudain, on entendit une charrette arriver à toute vitesse. La foule se retourna. Les chevaux hennirent à l'arrêt de la voiture, et un homme descendit puis se précipita vers le lieu de l'évênement. Il était plus mince que celui qui semblait être le chef, mais il avait à peu près la même taille, et les même cheveux. Des sourcils dorés en bataille précédaient ses yeux de renard, reflétant la sagacité mais aussi la sympathie. Sous sa moustache à peine visible, son sourire malicieux, découvrant des dents légèrement en avant, ne faisait que renforcer le respect qu'on ressentait en regardant cet homme. Il portait lui aussi une tunique, faite de plusieurs nuances de verts.
L'homme s'avança près de l'autre et entama une conversation vive et animée. Il était impossible de savoir si une dispute avait lieu ou bien des retrouvailles pleines de joie. Le groupe conclut rapidement que la première solution devait être la bonne, car à la fin de leur échange, le chef sembla toujours aussi contrarié.
_ Si c'est pour votre port que vous vous inquiétez, sachez que nous n'y sommes pour rien, tenta d'expliquer Oliver.
_ Ne vous fatiguez pas, soupira Théo, ils ne nous comprennent pas.
Après avoir réfléchis quelques secondes en silence, le chef dit quelque chose à la femme à la tunique orange, puis fit signe au groupe de le suivre. N'ayant aucune autre solution, il y consentit. La foule se dispersa.
Ils remontèrent ainsi la rue principale et en profitèrent pour observer d'un peu plus près le petit village. Il n'y avait pas de trottoir, mais la rue entière était en terre battue. Des boutiques de toutes sortes se trouvaient sur cette avenue miniature : le salon de coiffure, la bibliothèque, la boutique de vêtement, l'épicier etc... Tout avait un air médiéval, brun, romanesque, vieilli. Ca sentait la terre et la mer. Raphaëlle nageait en plein rêve.
_ Non mais vous avez vu toute ces décorations ? S'exclamait-elle toute les minutes. Quelle minutie ! On se croirait dans un conte de fées !
En effet, chaque maisonnette était entièrement décorée. Cela concernait les toits recouvert de guirlandes ou de lampions multicolores, les briques ou le bois gravés d'inscriptions inconnues, les lanternes étincelantes forgées avec soin, les fenêtres fleuries, les poignées des portes gravées et possédant un petit pompom coloré ou une clochette. Tout cela avait des allures de maisons de poupée, mais le groupe se trouvait dans un village portuaire.
Le chef s'arrêta alors devant une maison un peu plus grande que les autres. Il ouvrit la lourde porte en bois gravé, et invita le groupe à entrer. L'intérieur était aussi stupéfiant que l'extérieur. Un bureau en bois sombre trônait au centre de la pièce. De multiples tapis aux couleurs extravagantes masquaient le plancher froid. Il était agréable pour le groupe, de se trouver dans une atmosphère si chaleureuse, étant donné qu'ils étaient trempés jusqu'aux os. Une grande bibliothèque se dressait à leur gauche, ainsi que des étagères recouvertes de bibelots en tous genres. Au fond, une porte devait mener aux autres pièces de la maison. A côté, une cheminée impressionnante ouvrait sa gueule béante et flamboyante. L'homme les pria de s'asseoir sur les fauteuils qui se trouvaient en face de son bureau. Il disparut quelques instants dans l'autre pièce, puis revint avec une chaise supplémentaire. Il alla s'asseoir à son bureau, et les membres du groupe l'imitèrent. Quelques secondes de silence gênant s'instaurèrent, jusqu'à ce qu'on entende une clochette tinter.
_ Thelta ne, dit alors le chef.
Un très vieil homme entra alors, portant un gros livre poussiéreux dans ses petits bras frêles. Il était courbé, chauve, sa barbe blanche lui arrivant au ventre, et se déplaçait avec une canne très travaillée.
Le chef se leva pour l'acceuillir. Il posa sa main sur l'épaule du vieil homme, qui fit de même, avec le peu de force qui lui restait. Ce dernier s'assit au bureau et parut soulagé de poser enfin son gros livre. Le chef lui dit quelques mots, et le vieillard sembla acquiescer en fixant le groupe, toujours silencieux. Il ouvrit son grimoire, sortit ses lunettes de sa poche et les mit sur son nez. Il chercha quelque chose dans le livre, puis se racla la gorge :
_ Bien le bonjour.
Les membres du groupe furent surpris d'entendre quelqu'un parler leur langue. Ravi, Oliver se porta spontanément volontaire pour être le porte-parole :
_ Bonjour !

Le vieil homme fit un sourire au chef, qui parut satisfait. Il se racla à nouveau la gorge :
_ Je m'appelle Trazar, dit-il avec un accent étrange et en roulant les « r ». Je suis le traducteur officiel de ce village.
Il marqua une pause pour vérifier qu'Oliver comprenait. Il poursuivit :
_ Il y a eu un petit incident à la capitale, et nous n'avons pas pu être prévenu de votre arrivé. Excusez-nous pour ce désagrément.
Le groupe ne comprenait pas.
_ Prévenu ?! Demanda Teckilan.
_ Nous savons quand une Nouvelle Terre s'approche de nous, répondit calmement le vieillard.
Il toussa.
_ Je suis ici en dépannage. Je vais donc vous apprendre ce que vous devez savoir, pour le moment.
_ Où sommes-nous ? S'enquit Era.
_ Vous êtes à Mü. C'est le nom que l'on donne à notre monde. Si vous désirez que je sois plus précis, vous êtes dans le Territoire de la Reine, dans la région d'Eskol, dans le village d'Assid.
_ Je rêve ..., murmura Teckilan.
Le vieillard grogna en feuilletant son énorme livre. Il toussa à nouveau et se racla la gorge avant de parler :
_ Rêver ? Non, tout ceci est bien réel. Votre Terre a été immergée, et ramenée jusqu'ici par la force des Dieux. C'est un miracle que vous soyez encore en vie ! Nous n'avons pas vu de nouveaux Survivants depuis au moins 400 ans !
_ Vous voulez dire que nous sommes actuellement au fond de l'océan ? Demanda Théo.
_ Notre monde est protégé par ... hem ... comment dire ... nous appelons cela l'Aura du Cristal. C'est l'Aura qui protège Mü de l'eau extérieure ... hem je ne suis pas qualifié pour parler de ça ...
Il toussa de plus belle.
_ Avez-vous des questions ?
Le groupe en avait évidemment des centaines, mais ils ne savaient pas par où commencer.
_ Comment sommes-nous passé à travers ce ... cette aura ? Demanda Oliver.
_ C'est la volonté des Dieux.
Teckilan ricana silencieusement, puis intervint :
_ Et comment peut-on rentrer chez nous ?
_ Vous ne pouvez pas.
_ Quoi ?! S'exclamèrent-ils tous.
_ L'Aura empêche quoi que ce soit de ce monde de se retrouver en contact avec l'extérieur.
Il se racla la gorge.
_ Vous avez d'autres questions?
Trop choqué, le groupe ne répondit plus. Le chef parla quelques instants avec le vieillard, qui traduisit visiblement la conversation qu'il venait d'établir avec ceux qu'il appelait « les Survivants ».
_ Je dois vous informer de plusieurs choses, dit-il en toussotant. Mais déjà, nous devons vous inscrire sur la Liste Officielle.
_ Qu'est-ce que c'est ? Demanda Oliver.
_ Cette liste recense tous les habitants de Mü, dans les moindres détails. J'ai besoin de vos noms et de vos dates de naissance.
_ Et si nous refusons ?! Dit soudain Teckilan, d'un ton agressif.
_ Pourquoi voulez-vous refuser ? Répondit calmement le vieillard. Cela ne vous engage à rien du tout.
Après que Teckilan se soit calmé, le chef prit un carnet et une plume, et se tint près à écrire.
_ Allez-y, le chef du village va vous inscrire.
_ Oliver Ulm, né en 2073.
_ 2073 ?! s'exclama le vieillard.
On eut cru qu'il venait d'avoir une crise cardiaque. Ses gestes lents se transformèrent rapidement en mouvement frénétiques, quand il chercha quelque chose dans son livre.
_ Dîtes-moi simplement votre âge, nous n'avons pas le même calendrier.
_ J'ai 35 ans.
_ Pardon ?!
Le vieillard fouilla alors à nouveau dans son livre. La mine déconfite, il adressa un regard au chef.
_ Nous n'avons pas du tout la même notion du temps que vous. Cela attendra l'arrivée des Compteurs. Déclinez simplement votre nom, nous verrons votre âge plus tard.
Les Survivants s'inscrivirent donc sur la Liste Officielle. L'homme à la tunique verte, qu'ils avaient vu quelques minutes plus tôt, entra alors brusquement. Il était accompagnée d'une jeune femme blonde qui saignait de la tempe. Quelques mots furent échangés, puis le vieillard dit alors :
_ Cette femme fait visiblement partie des vôtres.

pas le temps de lire mais je salue l'effort surtout que j'en ai entendu parler depuis longtemps

et attention car ce n'est que le premier chapitre et je connais pas encore toute l'histoire, ni même la fin ... :lettre1:

comme la plupart des beatniks qui écrivent je pense ^^